Ai Weiwei par Wang Keping

Ai Weiwei dans le Lower East Side © Ai Weiwei

Ai Weiwei et moi sommes amis depuis plusieurs décennies. Son père, Ai Qing, et le mien étaient deux jeunes artistes qui ont été plongés dans la révolution dès leur plus jeune âge. Ils ont même travaillé ensemble, l’un écrivait des poèmes, l’autre des romans. Et ils sont devenus tous les deux des cadres, fonctionnaires de la culture sous le Parti communiste. Mon père a subi les foudres de la critique politique dès 1950, son père en 1957, mais Ai Qing a connu de plus grandes adversités, car toute sa famille a été exilée dans un camp de travail du Xinjiang, le Far West de la Chine. Ai Weiwei a grandi auprès de son père et a dû affronter comme lui mépris et humiliations.

Durant le premier « printemps de Pékin » en 1979, Ai Weiwei et moi avons participé ensemble à la première exposition d’artistes indépendants et non-conformistes, « Les Étoiles » (Xingxing), devant les grilles du Musée national des Beaux-Arts de Pékin. Par la suite, il a pris le large en premier, pour aller à New York, et moi j’ai mis le cap un peu plus tard pour échouer à Paris. Chacun s’est égaillé qui à l’Est qui à l’Ouest, mais le contact ne s’est jamais rompu entre nous.

Qui oserait dire qu’Ai Weiwei n’aime pas sa patrie ? Ai Weiwei est retourné à Pékin dès 1993, et ce fut le grand tournant de sa vie. En quittant l’Occident pour revenir en Chine, il a, paradoxalement, redoublé d’intérêt pour l’art traditionnel chinois. Le problème était que, à l’épreuve du feu de la Révolution culturelle, la culture et l’art chinois avaient été réduits en cendres. Ai Weiwei commença par se lancer dans le commerce d’antiquités, collectionnant de nombreux bibelots anciens, et en particulier de merveilleux spécimens de l’art folklorique. Cela lui permit de s’immerger dans l’étude des techniques artistiques traditionnelles et populaires. Toutes ces sources d’inspiration devaient réapparaître plus tard dans sa propre création artistique. On peut affirmer qu’il a dans le même temps endossé la mission de propager l’art contemporain en Chine en créant un magazine artistique à Pékin, et ses trois fameux Livre noir, Livre gris et Livre blanc. Il va de soi que ces publications étaient clandestines, car toute la presse et toutes les maisons d’éditions sont totalement contrôlées par l’État.

Ai Weiwei se positionna tout de suite en chef de file, assumant ses « méfaits » au grand jour, tout en bravant les intempéries… Il eut le projet d’organiser des expositions d’artistes avant-gardistes dans une vaste grange d’un village de la banlieue de Pékin, ce qui fit l’effet de véritables bombes dans les milieux culturels. Par la suite, Ai annonça qu’il allait créer une galerie d’art. C’était sans précédent, et tout le monde crut à une plaisanterie. Depuis la Libération de Pékin par les communistes en 1949, il n’existait en effet plus une seule galerie privée. Il n’y avait plus que des musées, des centres culturels et des magasins d’art destinés aux touristes, ces derniers étaient gérés par des fonctionnaires du Parti.

Ai Weiwei a toujours choisi de relever des défis insolubles. Il se rendit donc avec un sans-gêne insolent auprès du Bureau de la culture de Pékin pour demander l’autorisation d’ouvrir une galerie. Il lui fut répondu : « Une galerie se livre à des activités commerciales ; il vous faut donc vous adresser au Bureau des affaires commerciales pour obtenir leur approbation ». Ai Weiwei alla donc au Bureau des affaires commerciales où il s’entendit répondre : « L’art fait partie de la culture. Vous devez donc d’abord obtenir le tampon du Bureau de la culture. » Ballotté d’un bureau à l’autre, Weiwei finit par obtenir cette réponse : « Vos histoires de galerie vont sûrement attirer des étrangers pour acheter vos peintures. Donc, cela concerne des activités avec des étrangers  et il faudrait tout d’abord obtenir l’accord de la Sécurité publique. » Avoir l’accord de la police ? Cela aurait été aussi simple que de se mettre dans la gueule d’un tigre pour lui arracher les poils de la moustache…

Il n’en fallait pas plus pour qu’Ai Weiwei, d’un froncement de sourcils, ait un plan.

 

— Wang Keping

L’intégralité de ce texte est à découvrir dans Ai Weiwei. Histoire d’une arrestation, disponible aux éditions Globe.

 

Wang Keping et Ai Weiwei

 

Note : Wang Keping, né en 1949 en même temps que l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, a été l’un des fondateurs du premier groupe artistique non conformiste créé à Pékin en 1979, le groupe « Les Étoiles ». Il a quitté la Chine pour s’établir à Paris au début des années 1980, et s’est imposé sur la scène artistique en tant que sculpteur. Ses œuvres font partie des collections de musées importants, parmi lesquels le Centre Pompidou. Il a été fait chevalier des Arts et des Lettres.


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